Poitiers
jeudi 28 juillet 2022

Aux sources de l'éthique N°14

Le ciel étoilé et la loi morale

Qui a dit : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ».

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C’est ce qu’Emmanuel écrivait en concluant sa Critique de la raison pratique[1]. Et il poursuivait :

« Ces deux choses, je n'ai pas besoin de les chercher et de les conjecturer simplement, comme si elles étaient enveloppées de ténèbres ou placées dans une région transcendantale en dehors de mon horizon ; je les vois devant moi, et je les rattache immédiatement à la conscience de mon existence »

Pour Kant, le ciel étoilé et la loi morale sont deux évidences qui s’imposent perceptivement à l’homme (je les vois, dit-il) et qui sont indissociables de la conscience de son existence : l’être humain parce qu’il a conscience d’exister voit immédiatement le ciel étoilé au-dessus de lui et la loi morale en lui. Cette prise de conscience n’est pas indifférente. Bien au contraire elle remplit le cœur d’admiration et de vénération (que l’on pourrait aussi traduire par respect) qui contrairement aux illusions, croissent et demeurent sans cesse neuves dès lors que l’être humain en fait l’objet de sa pensée.

La perception du ciel étoilé connecte sensoriellement l’homme qui occupe un fragment d’espace à « l’espace immense », « où les mondes s’ajoutent aux mondes et les systèmes aux systèmes »[2]. Cette « multitude innombrable de mondes » réduit l’homme selon Kant à la prise de conscience de ce qu’il est, une « créature animale », vouée à la finitude et qui, à sa mort, ne sera que matière rendue à la terre.[3]. Mais, pour Kant, alors que la connexion avec l’espace immense est contingente, par contre la loi morale perçue au-dedans de l’homme, le connecte de manière universelle et nécessaire à tout le monde visible : grâce à la loi morale[4], la valeur de l’homme est élevée et il peut ainsi avec son intelligence et sa personnalité manifester sa capacité à vivre de manière indépendante de l’animalité et faire ainsi de l’existence une fin en soi, inséparable du devoir[5] . Mais, pour Kant l’admiration et le respect ne suffisent pas, Il faut y ajouter la recherche sous-tendue par l’exercice de la raison. Ainsi l’être humain a-t-il pu parvenir à une « connaissance claire et immuable des systèmes du monde » qui continue de s’étendre progressivement. A l’étude scientifique de l’univers dont les résultats ont été si heureux et qui demeurent si prometteurs doit répondre de la même manière une étude de la morale : l’homme doit en effet exercer grâce à sa raison son jugement moral afin de discerner ce qui fait de son existence une fin en soi, hors des limites du temps, soucieuse de se déterminer « par devoir » et d’agir de manière autonome au nom d’une volonté déterminée à repérer les règles[6] capables d’être érigées en lois universelles de la nature. Et c’est ainsi que ces exercices rationnels empruntant à la science sa démarche critique et méthodique ouvrent à la doctrine de la sagesse[7]. Dans ce même ouvrage, Kant avait expliqué que si la loi morale implique une coercition à l’égard de nos penchants, elle procède de « la conscience d’une libre soumission de la volonté » exercée par « notre propre raison »[8]. Ainsi le devoir moral « ne repose que sur une contrainte libre, venant de nous-même[9] » et pour Kant la conscience morale se confond avec « la raison pratique qui montre à l’homme son devoir[10] ».

Ainsi la morale de Kant (morale du devoir ou déontologique) n’est ni une morale du bonheur[11], ni une morale du plaisir[12], même si « la raison pure pratique ne veut pas qu’on renonce à toute prétention au bonheur mais seulement, qu’aussitôt qu’il s’agit de devoir, on ne le prenne pas du tout en considération ». Certes ajoute Kant, même si le bonheur (santé, richesse) peut disposer au devoir et la privation de bonheur (pauvreté) peut exposer à la tentation de violer son devoir et si donc « ce peut même à certains égards être un devoir de prendre soin de son bonheur », « travailler à son bonheur ne peut jamais être immédiatement un devoir et encore moins un principe de tout devoir »[13].

Roger Gil

[1] Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, trad. par François Picavet (Paris: Presses universitaires de France, 1965).
[2] On trouvait déjà chez Blaise Pascal ce même constat de la « disproportion » de l’homme face à l’immensité de l’univers « où il se trouve logé », in Pensées ; L’œuvre de Pascal, La Pléiade ; 1936 ; 84 [347], p. 841
[3] Pascal, lui, avait développé le thème de la misère de l’homme et de sa fragilité : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature » Blaise Pascal, Pensées : 264 [65], p. 894.
[4] Car une loi, pour avoir une valeur morale doit avoir un caractère de nécessité absolue et être partagée par tous les êtres raisonnables (c’est ce que Kant développera dans Les Fondements de la métaphysique des mœurs »).
[5] Pascal opposa la misère de l’homme à sa grandeur car l’homme est un « roseau pensant » : « la grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connait misérable » Pensées, : 255 [165], p. 893
[6] C’est le sens que donne Kant à ce qu’il appelle des maximes.
[7] Pascal évoquera l’effroi ressenti par l’homme en prenant conscience de sa place entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, ressentira effroi, curiosité, admiration ; il sera alors plus disposé à la contemplation qu’à une recherche qui ne nous permettra que « d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses » dans le désespoir éternel d’accéder à la connaissance de leur principe et de leur fin qui n’est accessible qu’à Dieu qui en est l’auteur. L’état véritable de l’homme « nous rend incapable de savoir certainement et d’ignorer absolument » in Pensées 84[347], p. 842-845.
[8] Kant, Critique de la raison pratique ; p. 84-85.
[9] Emmanuel Kant, Principes métaphysiques de la morale, trad. par CJ Tissot (Paris: Chez Levrault, 1830).
[10] Ibidem
[11] ou eudémonisme
[12] ou hédonisme
[13] Kant, Critique de la raison pratique ; p. 98-99.

©Roger Gil : Aux sources de l’éthique n° 14, Le ciel étoilé et la loi morale, juillet 2022.

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