Poitiers
jeudi 9 juin 2022

Aux sources de l'éthique N°12

Qui a dit : Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ; ou … Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie

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Il s’agit bien de la formulation d’un impératif catégorique proposée non par Emmanuel Kant mais par Hans Jonas (1) qui voulait d’ailleurs se distinguer ainsi de l’impératif catégorique formulé par Kant de la manière suivante : « Agis de telle sorte que tu puisses également vouloir que ta maxime( c’est-à-dire la règle de ton action) devienne une règle universelle ». La morale  de Kant fait de l’autonomie l’accord de la volonté avec le devoir inscrit dans une législation universelle. Je ne dois pas tuer, je ne dois pas mentir, je ne dois pas voler car je ne peux pas ériger ces actions en comportements universels. L’éthique de Kant concerne donc les intentions et les comportements qui doivent fonder les relations humaines. Elle est, selon Hans Jonas, « un exemple extrême d’éthique de la conviction » Il s’agit d’une éthique anthropocentrique qui s’adresse d’abord à l’individu au quotidien présent de sa vie : Hans Jonas la qualifie « d’éthique de la simultanéité ».

Or l’éthique de Jonas est une « éthique de futur » qui souhaite dépasser nos actions personnelles dès lors qu’elles ne nuisent pas à Autrui pour se préoccuper d’abord de l’avenir de l’humanité tout entière et de toute vie sur Terre. Le fondement de l’éthique de Jonas est donc la responsabilité personnelle et politique des conséquences de nos actions sur les générations futures. Cette responsabilité nécessite la prise de conscience de la vulnérabilité de la nature menacée par « la grandeur excessive du pouvoir » issu des technosciences dont Jonas n’hésite pas à dire qu’il a un « potentiel quasi-eschatologique », ce qui veut dire pour lui susceptible de précipiter une forme de fin du monde. Nulle éthique antérieure n’avait pris en considération « la condition globale de la vie humaine, l’avenir lointain et l’existence de l’espèce elle-même ». Si Kant voulait que chaque personne soit considérée comme une fin en soi, pour Jonas, il faut, au-delà de la sphère de l’homme, étendre la reconnaissance des « fins en soi » au bien des choses extra-humaines qui sont en fait indissociables du bien humain.

Car Jonas s’inquiète de  « l’utopie moderne » qu’est la course en avant des technosciences qui tendent à faire de l’homme un objet de la technique. Et il cite la visée de l’élimination de la mort qui entraînera l’élimination des vies naissantes, le contrôle chimique ou instrumental des comportements humains, les manipulations génétiques et il pose la question de savoir « si nous sommes qualifiés pour ce rôle démiurgique », et « c’est là la question la plus grave qui puisse se poser à l’homme qui se découvre subitement en possession d’un tel pouvoir » sur le destin. Jonas s’oppose avec vigueur à l’idéal de Francis Bacon qui prônait la domination de la nature par la technique (2). Pour Jonas les dimensions excessives de la civilisation technique-scientifique-industrielle sont une  « menace de malheur » et de « catastrophe » pour l’humanité. Pour lui l’affect mobilisateur de la responsabilité est la peur, non pas « celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir », celle qui fait de la responsabilité un devoir par sollicitude à l’égard d’une Nature vulnérable dont le futur est coextensif à la vie humaine comme à toute vie. Est ainsi promue une « heuristique de la peur » apte à dépister le danger qui plane sur l’humanité et qui apparaît ainsi comme « le meilleur substitut de la vertu et de la sagesse véritable ». Il est enfin nécessaire qu’en dépit « du caractère incertain des projections d’avenir », la vérité qui est recherchée implique une authentique démarche scientifique afin de constituer une « science des prédictions hypothétiques », une « futurologie comparative », un « savoir du possible » et, en cas d’incertitude « accorder la préférence en vue de la décision au pronostic de malheur sur les pronostics de salut » car « l’existence de l’Homme ne doit pas être mise en jeu ».

L’éthique de la responsabilité défendue par Jonas souligne les effets délétères que peuvent avoir les comportements de l’être humain sur son environnement. La peur qu’il souhaite faire naître doit rendre l’humanité, portée par les technosciences, consciente de son pouvoir et de son devoir à l’égard des générations futures.


[1] dans son ouvrage, Le Principe responsabilité, publié en langue allemande en 1979.
[2] Francis Bacon, Novum Organum, 1620, tr. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, PUF, 1986, p. 101. https://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=308

 

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